#BleuBacon#NetGalleyFrance
Avant toute chose, je tiens à remercier chaleureusement NetGalley France et les éditions Stock pour cette découvert éditoriale remarquable.
Aujourd’hui, je vous propose de parler du roman intitulé Bleu Bacon de Yannick Hanael, paru en 2024 au éditions Stock, de la collection Ma nuit au musée, 227 pages.
Synopsis
À peine entré dans l’exposition que le Centre Pompidou consacre à Francis Bacon, Yannick Haenel ne voit plus rien : une migraine ophtalmique l’oblige à passer plusieurs heures allongé sur le lit de camp qu’on a dressé pour lui dans le musée.
En retrouvant ses esprits, Yannick Haenel se met à parcourir l’exposition en proie à des états d’intensité contradictoires, qu’il raconte comme une aventure initiatique.
Est-il possible de ressentir intégralement la peinture, de la vivre comme une ivresse passionnée ?
À travers le face-à-face avec plusieurs tableaux comme Œdipe et le sphinx ou le triptyque consacré à la mort de George Dyer (l’amant de Bacon), le livre détaille les impacts de la peinture de Bacon sur celui qui en fait l’expérience : sa violence ouvre alors l’auteur à des séquences de sorcellerie de son enfance africaine qui vont lui donner une clef pour traverser cette épreuve.
Mais au fil de la nuit on accède au cœur d’une odyssée heureuse ; en tournant dans son labyrinthe de sensations extrêmes, Yannick Haenel dévoile un aspect moins connu de la peinture de Bacon : la sensualité de ses couleurs, la fraîcheur sexuelle de son bleu.
L’expérience de jouissance culmine dans une illumination scandée par la dernière chanson de David Bowie lorsque l’auteur, qui a demandé à ce qu’on coupe toutes les lumières à trois heures du matin, évolue dans le musée avec une lampe torche à la main et danse extasié en voyant la peinture sortir du mur, comme à Lascaux.
Bleu Bacon (Grand format – Broché 2024), de Yannick Haenel | Stock
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LE SAVIEZ- VOUS ? L’exposition « Bacon en toutes lettres » s’est tenue au Centre Pompidou du 11 septembre 2019 au 20 janvier 2020. Cette rétrospective a exploré l’influence de la littérature sur l’œuvre du peintre Francis Bacon ( 1909-1992 ), mettant en lumière son dialogue avec les textes d’Eschyle, Nietzsche, Bataille, Leiris, Conrad et Eliot. Les visiteurs ont pu découvrir comment ces auteurs ont inspiré Bacon, créant une sorte de famille spirituelle reflétée dans ses peintures intenses et réalistes.
Bacon jusqu’au bout de la nuit
La première fois que j’ai découvert le roman Bleu Bacon de Yannick Haenel, c’était à travers son titre intrigant, évoquant à la fois le célèbre Bleu Klein et l’artiste Francis Bacon.
Attirée par cette référence artistique, j’ai plongé dans le récit avec curiosité, sans savoir à quoi m’attendre vraiment.
Bleu Bacon est le récit personnel de Yannick Haenel au sujet de son expérience d’une nuit passée au Centre Pompidou lors d’une exposition dédiée à Francis Bacon, comme il est de coutume dans cette collection Ma nuit au Musée, concept des Éditions Stock que j’affectionne beaucoup.
Le roman explore la violence et la sensualité des corps et des couleurs de Bacon, en particulier le bleu, qui pour Haenel, perce la noirceur et apporte une lumière intérieure.
Pour ma part : entre fascination et perplexité.
Dès les premières lignes, j’ai été captivée par la prose exaltée d’Haenel.
Son écriture immersive m’a transportée dans un univers d’analyse, de vision, de transe et d’illumination.
À travers la richesse de ses descriptions, j’ai ressenti toute la passion et l’admiration de l’auteur pour l’œuvre de Francis Bacon, un artiste qui m’était inconnu auparavant.
De plus, un élément crucial est venu ajouter une dimension nouvelle à ma lecture : la nuit où Haenel a assisté à l’exposition de Bacon, il a été frappé d’une migraine ophtalmique, une maladie qui brouille la vue et les nerfs, et que seul le tramadol peut calmer.
Ce détail m’a touchée car, d’une façon plus personnelle, je connais plus ou moins cette maladie et je n’ignore pas à quel point cela peut devenir ingérable.
Cette révélation a donné une lumière nouvelle sur la manière dont l’art de Bacon a été perçu par l’auteur. La distorsion sensorielle induite par la migraine ajoute une dimension supplémentaire à l’expérience de lecture, faisant écho à la nature tourmentée de l’œuvre de Bacon elle-même.
Cependant, au fur et à mesure que je découvrais les peintures de Bacon à travers les descriptions et les médiations d’Haenel, j’ai été confrontée à une certaine perplexité.
Son art, celui de Bacon, empreint d’une violence et d’une intensité presque palpables, m’a déconcertée.
Je me suis retrouvée face à des images tourmentées, agressives, qui m’ont mise mal à l’aise et ce contraste entre l’admiration pour la prose d’Haenel et la perplexité face à l’œuvre de Bacon a été au cœur de mon expérience de lecture.
Pourtant, malgré cette réserve, je ne peux que reconnaître la puissance évocatrice du récit. Haenel parvient à rendre hommage à Bacon de manière magistrale, nous invitant à plonger dans l’univers complexe et fascinant de cet artiste iconoclaste.
Citations de Yannick Haenel in Bleu bacon, Stock, 2024
« Bacon provoque ça chez celui qui le regarde : il lui cisaille les yeux. »
« Même si je ne voyais rien, même si la migraine durait toute la nuit, il fallait que je reste : mon malaise faisait partie de l’expérience, c’était l’effet que produisait sur moi Bacon, c’était précisément l’impact de sa peinture sur mes nerfs. »
« Je pensais à Bacon, ce genre d’ironie lui aurait plu : s’il y en a un, parmi les peintres, qui avait la couronne et qui, chaque nuit, dégringolait de son trône, c’était bien lui ; mais il avait beau s’enivrer dans les pubs et se déchaîner dans les casinos, il restait le roi. »
« Dans ses entretiens avec David Sylvester, Francis Bacon dit que peindre, c’est dresser un piège pour attraper le vivant. Quel piège s’était donc refermé sur moi ? La peinture, comme l’écriture, nous mène vers un lieu dont on ne sait s’il nous rend plus libres ou s’il nous enferme.Cette nuit, avec la perspective de voir de la peinture comme je ne l’avais jamais vue, une liberté nouvelle s’était promise à moi ; et voici que tout se réduisait dans la pénombre. »
« Dans les phrases qu’on aligne sur une feuille de papier se déposent toujours des lueurs : même à douze ans, en racontant de pauvres fantaisies, on se rend compte qu’il y a de la magie dans les mots, et qu’on accède avec elle à cette ambiguïté où, croyant éloigner ses peurs, on les précise. »
« Sans doute ignorais -je, à l’époque, que le Renard pâle était un dieu dogon, mais comme j’avais une petite encyclopédie des religions de l’Afrique noire, dont j’entremêlais les notices à mes rêveries afin d’élaborer mes écrits, j’avais forcément lu que, dans la cosmogonie des Dogons du Mali, ce dieu récalcitrant avait déchiré son placenta pour se libérer de la filiation et pénétrer seul dans l’existence. Son père l’avait aussitôt privé de parole et changé en renard ; la créature anarchiste errait ainsi dans le désert, assoiffée et muette. Et puisqu’elle ne pouvait parler, elle écrivait : chaque nuit, ses pattes laissaient sur le sable des traces qui prédisaient l’avenir. »
« À la fin de ses entretiens avec David Sylvester, Bacon prononce une phrase cinglante : « Si j’étais en enfer, je penserais toujours avoir une chance d’évasion. » Il ajoute, comme s’il défiait un adversaire : « Je serais toujours sûr d’être capable de m’échapper. » La confiance de Bacon en lui-même est celle d’un roi insolent qui voit scintiller partout son trône. Une telle confiance est incontestable, cela s’appelle la foi . »
« Le tableau s’appelle Water from a Running Tap (Eau s’écoulant d’un robinet). Il est moins célèbre que la série des papes, moins expressif que toutes ces œuvres de Bacon où des flaques de chair se tordent dans une cage ; aucun cri ne vient déchirer la surface de la toile ; aucun corps ne s’y agite : il n’y a que du bleu. »
« L’eau est l’enfance du temps ; et le bleu mène à son pays indemne. »
« Bacon s’en est à coup sûr inspiré, et il est beau de penser qu’il y a un Duchamp secret à l’intérieur d’un tableau de Bacon : l’amitié dans les œuvres relève de la vraie joie. »
« Un grand peintre, comme le Caravage ou Bacon, n’est ni du côté du mal ni contre le mal : c’est quelqu’un qui s’empare de la violence dont les humains sont l’objet pour lui donner une forme qui la dénude. Le monde est abject, sauvage, criminel ; un peintre en restitue l’énigme nerveuse. « Je suis toujours étonné par les gens qui considèrent mon œuvre comme une œuvre brutale », déclare-t-il. »
« (…) car à cet instant de la nuit, sans que rien en fût voulu, après avoir perdu tous mes repères devant chacun des quarante-deux tableaux exposés dans les huit salles de cette aile hermétiquement close du Centre Georges-Pompidou, épuisé, haletant, gorgé de frissons, lourd et léger à la fois, je n’existais plus que sur un plan poétique, tout en moi était devenu phrases, le langage avait pris ma place et flottait sans moi dans cette nuit de peinture, j’étais nu comme un flocon, devenu entièrement lumière, écume, poussière en suspension entre deux lueurs, transparence, filigrane, rien. »
« Quant à moi, je voulais cette nuit me tenir au plus près du déchirement, aller jusqu’au bout du supportable : ce sont peut-être de grands mots, mais il arrive qu’on en fasse l’expérience, et alors plus rien d’autre n’a d’importance. Que rencontre-t-on à travers Bacon, sinon l’épreuve de vérité que sa peinture exige ? »
« Vous voyez, je m’égare : la peinture de Bacon exacerbe les apories. À son contact, on se met un peu à divaguer, et sans doute possède-t-elle une force de contagion car mes pensées, depuis que je suis entré dans cette exposition, sont devenues coupantes, ambiguës, elles n’ont plus peur de se perdre, encore moins de défier la raison. »
« Rien n’est plus doux que de revenir à soi : j’aimerais me tenir toute la vie à l’intérieur de cette frange du rêve éveillé. C’est bleu, c’est blanc, on dirait de l’écume : je pourrais sourire ici, sans fin, entre vie et mort. »
« Je rêve de vous donner à voir la peinture de Bacon à travers des mots : je crois possible que vous n’ayez pas besoin d’image et que vous suiviez mon récit intérieur. »
« Ouvre l’œil, me disais-je en riant. Cette nuit m’offrait décidément une suite d’aventures étranges. »
« C’est ainsi que j’ai commencé à voir du bleu partout. Il avait d’abord coulé à flots cette nuit grâce à l’irrésistible robinet qui m’avait redonné la vue ; et voici qu’il giclait de tous les tableaux, éclaboussant ma nuit d’un azur inespéré. »
« Bleu du ciel, bleu glacier, bleu cobalt, bleu de Prusse, bleu maya, bleu de minuit, bleu outremer, bleu chardon, céruléen, turquin, lapis-lazuli, canard, persan, minéral, égyptien, et mon préféré le bleu roi : j’aperçois toutes ces nuances dans la palette en feu de Bacon. La lumière intérieure de la peinture est bleue. »
« Il me suffit, en écrivant ce livre, de fermer les yeux, pour que se revivent en moi ces instants de magie : je n’ai jamais été aussi libre, et cette liberté s’élargit encore à travers ces phrases. Je n’en fais qu’à ma tête : c’est mon secret. »
La note De Lire Délire
Ma citation favorite :
« Je rêve de vous donner à voir la peinture de Bacon à travers des mots : je crois possible que vous n’ayez pas besoin d’image et que vous suiviez mon récit intérieur. »
Yannick Haenel in Bleu Bacon, Stock, 2024
+Le bon point : Une expérience de lecture riche en émotions, qui pousse à repenser nos propres préférences artistiques et à explorer de nouveaux horizons esthétiques, même si cela peut être déroutant au début.
-Le moins bon point : Même si les œuvres de Francis Bacon ne rencontrent pas forcément l’unanimité, il serait dommage de passer à côté de Bleu Bacon de Yannick Haenel. L’élégance et la richesse de sa prose offrent une expérience de lecture enrichissante qui mérite l’attention, indépendamment de nos préférences artistiques.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Dites moi tout en commentaires !